Éditorial n°4 – La femme la plus Ford du monde

Pour expliquer une absence de deux ans, plusieurs raisons peuvent être avancées. La première, très pragmatique, relève des aléas de l’édition indépendante et autres difficultés économiques. L’autre, sans doute plus secrète, touche au cœur même d’une revue de cinéma et aux dynamiques qui la traversent. Il a très tôt été question de Ford, même si l’on savait que c’était trop gros, étrange, que trop de choses avaient déjà été dites. Et tout aussi sûrement, il y avait Sylvie Pierre Ulmann, œuvre et vie monumentales, bien que dans un autre registre. Une épopée cinéphile et engagée dont tout – ou presque – est dit dans le grand entretien du numéro – une republication d’un travail ample réalisé il y a huit ans. Mais rapidement, l’impossibilité de synthétiser quoi que ce soit de la filmographie du colosse, de tout embrasser d’une même pensée cohérente. Le temps a passé, nous avons lu de nou- velles choses, écrit ailleurs, été au cinéma et aimé le cinéma, mais pas que, et peut-être pas comme avant. Puis le brouillard s’est dissipé. Alors on a inventé des stratégies, on s’est raconté des histoires. Celles de ce numéro ont parfois été écrites à plusieurs, elles parlent de voyages, d’engagements politiques, de critique bien sûr et d’amitié. D’autres sont nées de manière plus solitaire, à se demander qu’est-ce qu’écrire, sur le cinéma ou pas. À regarder la vie d’autres revues, à capter des mouvements, d’autres influences. Et c’est ainsi que le numéro a poussé, non pas le long d’une ligne droite, mais en veillant toujours à bifurquer. Dévier de la longue étendue du cinéma classique, visiter des filmographies oubliées et se pencher sur l’actualité, celle des films, mais aussi de la manière dont ils sont réalisés, puis accueillis.

Rien de dramatique finalement et il fallait sans doute en passer par là, creuser dans cette direction. Nous sommes sortis des griffes de ce « scrogneugneu alcoolo mal embouché », pour reprendre les mots de Sylvie Pierre Ulmann à propos de Ford. Et ce faisant, on a, je crois, fini par tenir quelque chose de la critique, de ce qu’elle peut faire, de ce que l’on veut en faire aussi. Ainsi, vous présenter ce numéro, c’est aussi vous ouvrir à ces deux années passées et aux choses qui nous ont marqués. Du zénith des soleils fordiens aux histoires dans le noir, Apaches a changé et changera encore, mais ce qui s’esquisse ici ne fera que croître à l’avenir.

Mahaut Thébault