La sortie

A propos de Sur les chemins noirs de Denis Imbert (2023)
Adios amigos (source : UniFrance)

Après un long moment passé sans franchir les portes d’un cinéma, je m’étais décidé à aller voir Sur les chemins noirs de Denis Imbert, adaptation du livre éponyme de Sylvain Tesson. J’aime les livres de Tesson – leur force vitale et le pouvoir qu’ils ont de nous arracher à la monotonie de notre quotidien poussiéreux – malgré la personnalité peu avenante et les opinions politiques de leur auteur. Aussi, j’étais très curieux de découvrir cette adaptation, étonné à l’avance de découvrir Jean Dujardin endosser le rôle de l’écrivain baroudeur.

Je retrouvais une liturgie que j’avais presque oubliée : acheter une place, présenter son ticket à l’ouvreur, franchir les portes battantes, choisir son fauteuil, supporter le quart d’heure de publicité, éteindre son téléphone, observer le noir qui se déploie progressivement et, enfin, profiter d’un long-métrage sur un écran géant. J’étais impatient. Avant de me retrouver plongé dans le noir, je me retournais plusieurs fois : la salle était à moitié pleine et je m’en réjouissais. Le film allait commencer.

Pourtant, j’ai quitté la salle. Je suis sorti. Au bout de 30 longues minutes. Scandalisé par la profonde médiocrité du film, je me suis tout simplement levé. J’ai ramassé mon sac par terre, récupéré mon manteau qui reposait sur le fauteuil adjacent et je suis parti. Sans esclandre, mais amer.

Non seulement la première demi-heure de ce film est d’une misogynie indécente, mais tout y est ridicule. Pour le dire simplement, le film est creux. Dès les premières minutes, le spectateur se rend compte qu’il n’a affaire qu’à une d’une coquille vide. Un belle coquille, mais un ersatz de film : une succession de panoramas, mais sans la moindre velléité de dépasser la captation de la beauté de paysages variés et tous plus impressionnants les uns que les autres.

Jean Dujardin n’incarne pas le personnage. Il est à peine dirigé par son metteur en scène (voire pas du tout), mais semble toujours hors du rôle. Il n’est pas écrivain. Il n’est ni baroudeur, ni promeneur, randonneur ou voyageur. Il erre dans le cadre, parodiant Tesson en écrivain maudit enfermé dans la solitude qu’offre les grands espaces, psalmodiant en voix off les aphorismes peu inspirés du livre. Vaguement grimé, on ne croit pas une minute se trouver face à face avec ce Tesson tristement et merveilleusement lucide, rescapé de son grave accident.

Pour être honnête, j’irais même jusqu’à dire qu’il est plutôt honteux (voire insultant) d’oser proposer un tel film au public. Car il ne s’agit au bout du compte que d’un portrait grossièrement hagiographique, à la photographie très soignée (trop soignée, pourrais-je dire) mais sans aucune ambition en termes de mise en scène, c’est-à-dire aucune ambition cinématographique. Nous sommes plus proche de l’album photo que du long-métrage.

Le ridicule du film, sa vanité et sa vacuité, auraient presque pu me faire rire (après tout, il vaut mieux rire que pleurer) si son visionnage n’avait pas coïncidé avec le moment où j’avais décidé de retrouver le chemin des salles obscures, de me réconcilier avec le cinéma, de retrouver le plaisir d’un moment partagé avec d’autres spectateurs.

Presque tous les professionnels du cinéma se plaignent. À tort ou à raison, peu m’importe. Je ne suis qu’un spectateur, pas un professionnel. Le Covid aurait, selon eux, habitué les Français à rester chez eux devant leur télévision, les yeux rivés à une série ou à un film Netflix ou Disney+. Les Français préfèreraient leur petit confort individuel plutôt que ce moment solennel de communion collective. Je fais partie de ces Français qui restent chez eux. Je fais partie de ces Français qui avaient déserté les salles. Je fais partie de ces Français qui avaient envie de retourner en salle et qui attendaient la bonne occasion pour le faire.

Je n’y suis pas retourné depuis. Sur les chemins noirs en est la raison principale. J’aime le cinéma, mais je n’aime pas qu’on se moque de moi. Parfois, en ouvrant un livre, en assistant à un concert ou en écoutant un album, je repense à ce film, à cette sortie. Et c’est avec grand plaisir que je me cale dans un fauteuil confortable et que je lis ou ferme les yeux un casque vissé sur la tête. Un mauvais livre ? Je le range ou le donne. Un mauvais album ? J’arrête de l’écouter. Un mauvais film ? Il y en a trop, mais il me suffit d’éteindre ma télévision, sans regret.

Mais chez moi, seul.

Nul besoin de sortir : je suis loin des salles obscures et, malheureusement, loin des chemins sombres.