À propos d’une carte blanche accordée au Labo K
Le Cinéma du TNB a accordé le 3 mai dernier, dans le cadre de son Printemps Breton, une carte blanche au collectif rennais Labo K. Créé en 2014, cet atelier d’expérimentation argentique réunit différent·e·s artistes (cinéastes, photographes, musicien·ne·s) autour des pratiques artisanales du filmage, du développement et de la projection de pellicules 8mm et 16mm.
Présentée par Éric Thouvenel, la séance attestait de la variété des formes que les films du Labo K peuvent produire : un ciné-récital, mêlant la projection d’un film 16mm à des projections de diapositives accompagnées au piano ; un exercice minutieux de grattage sur pellicule 8mm ; un documentaire traitant des bouleversements que rencontrent les voies ferroviaires entre le Bretagne et les Hauts-de-France ; une version reconstituée en laboratoire d’une ciné-performance composée à Saint-Malo et, pour clôturer la séance, une performance à trois projecteurs, restitution d’une résidence d’un mois au Mexique.
Rien ne ressemble moins à un film expérimental qu’un autre film expérimental. Chacune des projections était le fruit des tentatives et tâtonnements des membres du laboratoire, appliqués à perpétuer des manières différentes de voir et d’entendre. La narration et la représentation se troublent, et, pour se faire, les réalisateur·ice·s effectuent un pas de côté en ne les considérant plus comme des acquis immuables. Les films s’écrivent sans prévision, conjointement à la prise de vue, au travail dans la chambre noir et au montage, voire à la progression de la performance, c’est-à-dire à fur et à mesure de la projection. La forme fixe d’un film peut s’établir au moment où une nouvelle idée se dessine et où s’ébauche un prochain film, comme si travailler un film revenait à déjà travailler le suivant. Les notions de réussite et d’échec s’amenuisent à l’aune de ce cadre de travail. Simon Guiochet avoue apprécier particulièrement certains passages de son film dont le développement ne s’est pourtant pas déroulé comme il l’avait prévu. Laëtitia Poligné, commençant à filmer ses allées et venues en train, finit par incorporer en piste sonore de son projet les observations d’un cheminot rencontré par hasard.
Un laboratoire artisanale argentique peut être ainsi vu comme une garantie pour les artistes de se prévenir des accidents involontaires en les incluant dans l’écriture de leur film, faisant de l’échec une possible réussite. Les égarements des réalisateur·ice·s deviennent des enrichissements qu’ils peuvent ensuite partager entre elleux. La mise en commun des outils, des techniques et des savoirs leur offre des solutions pratiques et des bases de réflexion pour avancer dans leurs projets respectifs. Cependant, ce socle commun à l’atelier, qui est autant sa force que sa faiblesse, peut aussi uniformiser les entreprises de ses recrues par des recours répétés aux mêmes trouvailles et atténuer les singularités d’un projet collectif. Je me réjouis de constater que, dans le cas du Labo K, ces échanges contribuent à la mise en œuvre de ciné-performances où plusieurs projecteurs 16mm combinent sur l’écran des images conçues en groupe, croisant dans Màquinas de palabras le cinéma et la typographie à une création musicale de Franck Lawrence. La plus belle réussite du cinéma d’atelier argentique pourrait être celle-ci : l’invention en direct, selon les circonstances, d’un film réalisé à plusieurs, dont la projection rejoue incessamment sa forme qui demeure inachevée.
Saccade (202?) Nicolas David et Léo Prud’homme – 15′
Écorces (2020) Maude Gallon – 5′
À l’horizon des événements (2023) Laëtitia Poligné
Englouties (2020-2021) Simon Guiochet -14′
Màquinas de palabras (2023) Emmanuel Piton, Estelle Ribeyre, Typhen Rocchia et Frank Lawrence – 30′