Éditorial n°6 – Chapitre sixième : qui est celui du monde

Ce numéro est un récit de films en chambre ou au café, majeurs ou mineurs (Le Garçon et le Héron tient un peu des deux), redécouverts il y a peu (Nahla) ou ayant rejoint une certaine histoire officielle du cinéma. Celle-ci, qu’a relativement et récemment intégrée Chantal Akerman, n’est pourtant pas la seule que l’on peut raconter, et elle n’est surtout pas celle qui a transporté les films de la cinéaste des années 1970 à nos jours. Nous pourrions, de ce fait, écrire une histoire des films que l’on vit au sol (La Limace et l’Escargot ou Je, tu, il, elle) et de ceux qui nous amènent d’un côté à l’autre de leur récit (en bateau dans Ma vie, ma gueule ou en camion dans Je, tu, il, elle, encore) ; mais aussi des films de fantômes comme ceux qui nous rendent visite lorsque l’on est trop souvent au cinéma ou que l’on habite seul dans un univers construit à deux (Look Back). Il y a ainsi dans la revue que vous ouvrez tout un monde, dont chaque film pourrait devenir une entrée et qui, dès lors, se tient entre eux, ce qui n’est pas rien. Cela demande le concours des personnages, auteur·ices et lecteur·ices, de celleux qui vivent les histoires, les racontent ou les deux, à l’exemple d’Akerman en Charlot (M. A. G.) ou d’autres person- nages faits Robinson (G. N.). Ces mondes et leurs histoires, ce sont celles d’identités doubles et d’interfaces virtuelles, de communautés et d’amitiés, ici également entre les textes.

Au début de La Captive, sans qu’on le sache encore, Simon, dans notre dos, contemple les mêmes images que nous. Il est le témoin du spectacle estival projeté sur le mur de sa chambre : un groupe de jeunes filles jouent et se retournent quelquefois vers lui, filmeur observé. Tout au long du film, Simon regarde, espère parfois, puis écrit (seul dans sa chambre, nous ne le verrons jamais) et recommence. Il est un éternel spectateur – peut-être même un critique – et n’existe que dans la distance qu’il entretient aux choses. Seulement d’orchestrations en filatures, son regard sculpte le film et, de la lucidité de ne pouvoir qu’observer et écouter le monde, celui-ci, en retour, lui offre une matière infinie pour le rêver.

Mahaut Thébault