Éditorial n°5 – Placement libre
Les films nous remettent à notre place. Par ce qu’ils montrent, ils délimitent un espace, notre place de spectateur·ice. Le cinéma désigne, il donne des noms, il définit ce que tu as le droit d’être et de faire. Partant, le plan est l’outil idéal parce qu’il exclut ce qu’il veut de son champ. Et on ne s’en aperçoit même pas, parce que tout cela c’est de la fiction et qu’une histoire ne peut pas à ce point changer les choses. On se dit : une histoire, ça ne peut pas me dire qui je suis et ce que j’ai le droit de dire. Et même si ça fait cent ans qu’elles racontent les mêmes choses.
Toutes les images ne viennent pas du même endroit et toutes ne nous renvoient pas à la même place et il est temps d’y réfléchir. Il est temps de se demander qui a le droit de figurer dans un film, qui a le droit à l’écran, au projecteur et à la fiction. Elles sont ouvertes à qui ces portes? On ne raconte pas des histoires avec tout le monde et encore moins les histoires de tout le monde.
C’est quoi un viol, c’est quoi un baiser lesbien au cinéma, à l’écran devant nous, sur la télé? montrer des gens qui se cachent pour vivre et s’embrasser, rien que ça. Dans un film, certains plans mettent tout le reste sur pause. Alors dans l’histoire et chez nous tout se fige. La saillie nous sort du flux, le grand moulin à eau s’interrompt, c’est comme si les lumières se rallumaient.
Parce que si l’on n’y prête pas garde, les films que l’on regarde peuvent devenir des espaces publics, des espaces régis. D’où les images de contre- bandes, celles qui agissent en douce, qui font tout sauf graver, mais qui avancent comme nous sans être très sûres d’où elles vont, disparates et parfois un peu mal faites, construites sur les peurs et les interdits. Qui utilisent des codes, réservés aux initiés, à cell·eux qui savent où regarder. Ou alors qui montrent carrément tout, sans avertissement, et alors on tente de les arrêter, dans cet autre espace public juste à la porte du cinéma.
D’ordinaire, on attend d’un édito qu’il vienne tout lier d’un seul grand mouvement, ici une unique direction pour une composition de seize articles, entretien et comptes rendus de festivals. Mais aucune tendance globalisante n’ordonne ce numéro et un autre ensemble se forme, de réflexions autour de Kurosawa et Isao Takahata, et de la première partie d’une longue conversation entre Akira Kurosawa et Hayao Miyazaki. Reportage filmé chez Kurosawa et diffusé à la télévision japonaise, puis publié en japonais en 1993, dont les deux premiers chapitres sont ici traduits pour la première fois en français. Les chapitres trois, quatre, cinq et six, clôturant l’ouvrage, paraîtront dans le numéro 6.
Désormais c’est à vous, lecteur·ices, de disposer de cette revue besace, d’y piocher ce qu’il vous plaira, d’enchaîner et de rassembler les textes dans l’ordre que vous voulez.
Mahaut Thébault