Éditorial n°1 – Tout est dans la critique

En France, l’année 1959, Michel Mourlet écrit « Sur un art ignoré ». La même année, en Allemagne, Fritz Lang tourne Le Tombeau hindou. Deux événements que rien ne relie; et pourtant, Michel Mourlet, lorsqu’il pense à « Sur un art ignoré » — article fondateur, article des liens entre le cinéma et les arts, de sa supériorité et de son évolution du muet au parlant — tandis qu’il y pense, les images des films de Lang ne cessent d’affluer. C’est un meurtre derrière la vitre d’une voiture, un palais indien sans issues.

Dans ce manifeste, d’autres réalisateurs sont convoqués, Joseph Losey, Raoul Walsh et Otto Preminger rejoignent leur consort dans un célèbre carré d’as. Sur ces quatre cinéastes, les mac-mahoniens — que nous ne pouvons dénombrer, ni nommer inté- gralement — reposent leur pensée du cinéma. Dans cette pensée, une idée fixe, et simple, la compréhension que tout se joue dans la critique, dans l’œil du spectateur. De là, plusieurs articles sont publiés aux Cahiers du cinéma, puis une revue est créée : Présence du cinéma. Un nom univoque pour dire que le cinéma n’est pas une donnée mesurable, mais qu’il surgit, ou non, qu’il s’invite comme un charme dans certains films. Un nom pour dire que parfois, au détour de deux plans, c’est une ligne qui se trace entre l’écran et son spectateur; qu’au milieu de l’action, permise par la mise en scène du plan, quelque chose de la vie s’enclenche, et à l’autre bout, la ligne pointe que le cinéma est là.

Un simple nom et une idée fixe, qui alors se répète. Non que les textes soient les mêmes, que la théorie ne tienne pas, mais précisément parce qu’il n’est pas de théorie. Si pour ces critiques, réflexion il y a, il ne s’y agit pas de l’étendre, de la soumettre à toujours plus de films, de l’éprouver artifi- ciellement. La force des mac-mahoniens réside toute entière dans la croyance, une foi qui empêche le doute, la certitude de celui qui a vu quelque chose en plus. Cette pensée est circonscrite, c’est son principe et sa force. Le carré d’as édifié, nul ne se demande si d’autres cinéastes sont faits du même bois, ou pas vraiment. Ni système ni politique. Une idée comme une formule, magique cette fois, qui dans sa répétition, ne perd rien de sa force, mais se trouve comme débarrassée d’un surplus d’exemples, de variations et d’exceptions. La forme est pure, le lecteur lui aussi s’est délesté des lourdeurs de l’argumentation. Aucun filtre ne recouvre plus notre regard, nos yeux se tournent à présent vers les films de Lang. Des œuvres de composition aux plans tendus par le suspens, des films qui vont vite, auxquels les personnages et le spectateur s’accrochent pour ne rien perdre de cette course du monde.

Des films parfaits, seule raison de notre désir d’écrire sur eux.

Si aujourd’hui pour notre premier numéro, ces objets nous paraissent féconds, c’est qu’ils n’étaient pas enchaînés à leur époque, que les mac-mahoniens voyaient dans l’Art et le Cinéma quelque chose qui dépassait ces bornes. C’est également qu’ils n’ont pas menti, et ont depuis le début parlé de leurs regards. Dès lors, il n’est pas question pour nous d’une analyse des arguments ou d’une distribution de bons points cinéphiles, ce n’est qu’un regard qui se superpose à un autre. Il ne s’agit pas non plus d’une descen- dance, mais d’une histoire des idées, de la critique, du cinéma, dans laquelle nous souhaitons trouver notre place.

Penser les mac-mahoniens c’est se trouver face à de drôles d’articles et composer face et avec eux. Additionner Fritz Lang à cela, c’est rajouter une variable, faire grandir l’édifice en espérant qu’il tienne, que notre pensée tienne. C’est un exercice, celui de nos idées et des images qu’elles rencontrent. Lors de l’écriture de ce numéro, à mesure que les articles se formaient, des liens se tissaient, plus ou moins apparents, qui éclairaient à leur tour ce que nous avions laissé à l’obscurité. Nous en revenons à la ligne tirée, mais entre nous désormais. Celle qui traverse nos textes, les assemble et les emmêle, à côté de laquelle vous pouvez aujourd’hui marcher.