Édito – Invitation à la critique

La création d’une revue étonne, elle surprend car sous-entend que l’on peut dire plus, que l’on peut mieux dire, peut-être. Pour écrire il faut aimer bien sûr, l’exercice comme le sujet. Aimer puis en parler, faire connaître et bientôt naît entre le film et nous cet espace privilégié, une surface que nos mots parcourent pour en deviner à nouveau les formes. Le domaine dessiné est neuf, il est agréable et pourrait suffire à engendrer le désir d’écrire, notre animation ne se contient pourtant pas dans cette étendue. Seul l’intervalle — en ce qu’il implique deux parties — compte. La relation en elle-même arrive à rendre le film plus beau, dès lors la critique donne à voir et non seulement à comprendre. Nos mots modifient les images et notre écriture en retour se dérègle.
Aujourd’hui la critique de cinéma ne tient plus le même rôle, il est impossible d’en parler en tant que phénomène unique, si tant est qu’il ait déjà existé. Le web a rendu cet exercice individuel, mais a aussi multiplié ses manifestations et c’est face à une certaine masse de contenus qu’il devient nécessaire de mettre en avant une cohérence, un esprit commun si ce n’est des idées similaires. L’élection d’auteurs n’est plus au cœur de nos préoccupations et si hier il fallait bâtir de nos arguments les liens au sein d’une filmographie, c’est aux accords entre des films que tout pourrait séparer que nous nous appliquons aujourd’hui. Ces unions constitueront au fil des articles une définition du cinéma en action. Un territoire que nous balisons peu à peu et qu’il sera parfois tentant de croiser à d’autres supports. La télévision, les jeux vidéo ou encore la bande dessinée — tout déplaisant qu’il est de les ranger dans la même catégorie — trouveront alors leurs places dans cet intervalle et nous aideront à mieux saisir le septième art.
Les productions actuelles se multiplient, il s’agit d’y voir clair. Ce n’est plus seulement au sein des films et de leurs mises en scène que nous chercherons les relations mais entre ces œuvres qui en 2019 partagent au moins les quelques mois de leurs réalisations. Le présent est donc au cœur de ce projet, un présent qui ne doit pas contraindre le critique, dont il serait dommage de presser l’écriture. Si les films demandent un discours ou plutôt si finalement nous ne pouvons nous résoudre à nous taire, la temporalité établie reste celle de l’écrit ; a posteriori. Un écrit auquel il ne faut tout de même pas se soumettre sans merci, dont il est nécessaire de nuancer les inflexions que lui ont données les mouvements de l’image, puis ceux de la voix, des discussions. Nous parlions du présent, mais aussi d’une histoire, davantage écrite, déjà racontée que l’on veut explorer à nouveau, dont on ne peut simplement répéter les aboutissants. Un écrit qui arrive après pour voir plus clair. Le passage d’un écran à un autre qui rendra visible pour quiconque lit, ce que le film — sur la toile — nous a donné.
La naissance d’Apaches, de ce regroupement de rédacteurs se fait en une invitation à voir autrement, c’est-à-dire aussi à regarder ce qui nous déplaît, à parler de ces films qui n’ont que très peu besoin du critique pour exister et pourtant.
D’autres trajectoires s’ajoutent, celles des idées défendues par des films qui eux aussi regardent différemment notre monde et qui sans détourner le regard pointent un ailleurs.

La Collectionneuse, Éric Rohmer (1967)