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Étiquette : Gloria Mundi
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Personne
Sur Gloria Mundi (2019) de Robert Guédiguian
Gloria Mundi met en scène trois couples reliés par des liens familiaux. Le premier est celui des parents, Sylvie et Richard, elle agent d’entretien pour de grandes entreprises le soir, lui chauffeur de bus la journée. Le deuxième, c’est celui de leur fille Aurore avec Bruno, jeunes entrepreneurs dans les cash converters sur le point d’ouvrir leur deuxième magasin. Le dernier est formé par la deuxième fille de Sylvie, Mathilda, avec Nicolas, jeune chauffeur de VTC. L’intérêt principal du film se trouve dans les relations qu’entretiennent les personnages et leur évolution. Son échec est de peiner à les faire exister.
Ceux-ci parlent en permanence, mais seul le discours se fait entendre. Chacun dans sa case récite celui qui lui correspond : le couple de prolétaires proche de la retraite, résigné, se refuse à toute action collective ; le couple d’entrepreneurs, requins pleins de condescendances, cite Macron et rabroue clients comme employés à la moindre plainte ; Mathilda et Nicolas, le couple de galériens exploités, s’autopersuade que sa situation n’est due qu’à son manque d’efforts (que la femme reproche à l’homme). Le scénario enfonce le clou en étant extrêmement prévisible. Nicolas est un personnage qui se fait briser le bras, tromper par sa femme, moquer par Bruno, remettre un arrêt de travail le condamnant à l’inactivité et l’empêchant de nourrir sa fille, ainsi que d’autres calamités. Il se retrouve tellement accablé par le film qu’on finit par ne plus y croire, par ne plus voir Nicolas, mais la figure allégorique du prolétaire portant toute la misère du monde sur son dos.
Dans le même ordre d’idée, Sylvie est un personnage qui nous est présenté comme une travailleuse qui n’aspire qu’à tenir bon les quelques années la séparant de la retraite. Elle est ainsi peu engagée dans les mouvements sociaux. Dans la narration c’est la “jaune”, la briseuse de grève, celle qui refuse de rejoindre ses collègues, de lutter. Cela se comprend au sein du film par ses conditions de vie : elle gagne peu, mais doit aider sa fille, qui vient d’avoir un bébé, mais dont le petit ami a perdu son travail il y a peu. Elle est donc aussi la mère travailleuse prête à tout pour aider ses enfants. Ces deux archétypes, mère de famille + “jaune”, représentent globalement le personnage et guident toutes ses actions et réactions. Dans une scène, elle s’oppose à un mouvement de grève lancé par certains de ses collègues. Que dit-elle lors de l’AG des grévistes ? Qu’elle veut travailler, que si les grévistes veulent plus d’argent, ils doivent monter leur boîte comme le patron. Une fois que l’on a compris qui Sylvie représentait, on devine aisément ce qu’elle va dire, ce qu’elle va faire et comment elle va réagir. L’aspect trop explicite de ces personnages – cette absence de flou entre leurs actions et leurs intentions – laisse trop transparaître l’écriture, la métaphore qui anime le film, et de ce fait instaure une distance entre eux et nous qui empêche l’attachement émotionnel. On ne croit pas en eux.
Dans un film tel que celui-ci, croire aux personnages est essentiel. Non pas y croire au sens où ils puissent exister tels quels dans la réalité quotidienne, mais croire en eux. Croire à leur vie, aux obstacles qu’ils traversent, aux relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres, à la corrélation entre ce qui sort de leur bouche et ceux qu’ils sont (même s’il s’agit de mensonges). Or les archétypes prennent sous nos yeux la place des personnages, qui s’effacent complètement pour ne plus laisser place qu’à la façade, au discours.
Celui-ci emplit dès lors l’image et en écrase les autres éléments, empêchant autre chose d’émerger. Se déroule dès lors 1 h 47 de situations téléphonées, de réactions attendues et de dialogues navrants. Alors qu’aux personnages se substituent les archétypes, la compassion s’étiole. Un comble.
The Circle and the Right Angle, Michel Seuphor (1970) -
Le cœur à l’ouvrage
Sur Gloria Mundi (2019) de Robert Guédiguian
À Marseille, une famille essaye de s’en sortir, Guédiguian les filme avec une simplicité déconcertante. Pas de misérabilisme, pas de martyrs. Des Hommes, qui souffrent, se battent, s’aiment. Sans jamais céder à la tentation de ne montrer qu’une idée sans visage. Car des visages il y en a, et des plus beaux. Marqués par des années de prison, une vie de femme de ménage, de chauffeur de bus, mais surtout des visages ordinaires.
Un nouvel enfant arrive dans un couple qui n’en peut plus – d’être viré, précaire, en équilibre sur les fins de mois – et tout bascule. Vraiment ? Non rien ne bascule, l’intention du film n’est pas là. C’est à la manière d’un à propos de que le film se construit devant nos yeux, et non pas dans la mise en avant d’un discours. Si ce dernier existait, il serait humaniste, poindrait en transparence sur chaque plan de visages, de regard, de paroles à deux, trois, quatre Hommes.
En transparence, car j’imagine la beauté de ces Hommes en dehors du film – mais je l’ignore, et seul le cinéma peut me les donner de la sorte. Mais alors les révèle-t-il ou les conserve-t-il ? La force du film est tout entière dans cette question. Gloria Mundi fait-il autre chose que nous montrer des Hommes ? Cela suffit c’est certain, pourtant le doute persiste, y-a-t-il quelque chose en plus ?
Dans ce plan de Sylvie, quelque chose me trouble. Impossible de me souvenir des circonstances, est-on chez elle, chez le médecin, aux aurores dans ses bureaux ? Seul son visage reste, en plan presque fixe (la caméra tremble faiblement). Je ne sais pas ce que ses yeux regardent, ni ce dont elle songe, mais Guédigian me laisse le temps d’y penser.
Alors quelques secondes passent, ce qu’un visage peut changer en quelques secondes.
Puis tout reprend, puisque le cinéaste nous raconte une histoire. Dans ce changement de régime, de l’intériorité du personnage au retour des péripéties, pas de rupture. Les visages se font événements, tout comme les actions ne sont qu’écrins et prolongements du cœur des hommes. Les situations s’enchaînent et le spectateur se trouve derrière deux personnages qui parlent, assis sur un banc, au nord de Marseille, face à la mer, la poussette de Gloria en point de fuite. La vie a été dure pour l’un comme pour l’autre, mais il faut continuer, s’aider, essayer de vivre du mieux que l’on peut.
Encore une fois le contexte m’échappe, les mots précis sont absents, mais le même sentiment revient. Ces hommes sont universels, dans leurs valeurs, dans leur manière de résister et donc de vivre. Ces hommes de Marseille, ce sont aussi les autres, ceux qui se reconnaissent dans la simplicité d’une conversation dont le seul sujet est le passage du temps et notre lutte pour faire avec.
Ces deux hommes peuplaient déjà les westerns, figures éternelles taillées dans la pierre de la grandeur. Ne pas s’apitoyer, ne pas esquiver les visages. Ces Hommes sont là parce qu’ils comptent, parce qu’ils impriment une marque dans le paysage qui les entoure. Guédigian laisse durer ses plans, sur leurs surfaces, ses personnages s’y couchent lentement. Leur beauté irrigue.
Qu’a-t-il fait d’autre disais-je ? Bien plus c’est certain. Gloria Mundi est un film magnifique.