Ouvrir la fenêtre

Sur L’argent de Judas (1915) de Victor Sjöström
L'argent de Judas, Victor Sjöström (1915)
L’argent de Judas, Victor Sjöström (1915)

La découverte d’un film disparu est toujours une excellente nouvelle, d’autant plus s’il s’agit d’un grand film. L’Argent de Judas de Victor Sjöström est un grand film, et sa présentation au Festival d’Histoire de l’art à Fontainebleau était une formidable occasion de le redécouvrir. Reprojetté au Festival La Rochelle Cinéma, nous avons pu confirmer notre enthousiasme pour ce moyen métrage d’à peine 40 minutes.
Le film traite d’un homme qui braconne, aidé d’un ami, pour payer des médicaments à sa femme. La partie de chasse tourne vite au drame alors qu’ils sont repérés et que l’homme tue par mégarde un des garde-chasses. Plutôt que de se livrer, il laisse son ami se faire arrêter à sa place, peu à peu rongé par le remords. Il se suicide finalement, et lave son ami de tout soupçon.
L’ouverture du film coïncide avec celle d’une fenêtre et permet à la caméra de s’y engouffrer, dévoilant le lieu principal de l’intrigue, une petite maison vétuste. Sjöström introduit ainsi immédiatement l’un des éléments fondamentaux de son film : la fenêtre. C’est cette ouverture qui permet au film de débuter, en permettant au public d’y rentrer, littéralement. Mais c’est aussi par la présence d’une vitre à des moments clés du métrage que cet élément se révèle capital. Ainsi le début du film est marqué par le départ de deux binômes — les deux amis et les deux garde-chasses — s’éloignant à travers d’une vitre vers un destin funeste, annoncé par la cloison fermée. C’est toujours une fenêtre qui est close alors que l’homme dénonce et trahi son ami à qui il prêtait refuge. C’est par le carreau que survient le danger. Alors que la police tente d’arrêter un personnage, elle apparaît par cette ouverture. Pour tenter d’échapper à la menace, le suspect ferme en premier lieu le store, masquant ainsi la vitre. Aussi c’est une fenêtre ouverte qui cadre les excuses du traître, et l’écriture d’aveux précédents sa rédemption. L’ouverture est associée à une respiration, au retour du bon sens et à l’empathie alors que la clôture annonce la réclusion, le danger et l’égoïsme.
C’est que la fenêtre n’est que le symptôme d’un motif plus grand, et Sjöström en use pour rendre visible une opposition plus large, celle entre un monde extérieur et celui du foyer. Dans L’argent de Judas le dehors, s’il est sublime — les décors sont en grande partie naturels et somptueux — n’est que source de drame, c’est dans la nature que se déroule le meurtre initial. C’est dans la rue que l’innocent sera arrêté. De même c’est de l’extérieur que surgit la police. Au contraire, les deux foyers — celui du traître et celui de son ami — sont signe de sûreté mais à la fois d’enfermement. Dès le premier plan du film, un enfant dort paisiblement sur le rebord de la vitre, alors qu’une femme se meurt lentement. La maison fait office de refuge pour l’ami traqué, et de prison lorsque l’inspecteur arrive.
Aucune solution ne se trouve ni dans un espace ni dans un autre, pour trouver le salut, Sjöström propose alors d’ouvrir la fenêtre, et de faire enfin communiquer les deux mondes. C’est là que réside la solution au conflit du film, le traître réalise son erreur, ouvre la fenêtre et se jette dans le dehors pour y disparaître. C’est finalement sur l’ouverture, d’une porte cette fois, que le film trouve une conclusion.