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Étiquette : Victor Sjöström
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Trois films d’actualités d’Hans Berge
Sur une sélection de films des premiers temps
Course de luge à Korketrekkeren Une caserne de pompiers à Berlin Au ski Hans Ø. Berge fut l’un des premiers artisans du film d’actualité norvégien. Premier opérateur de prise de vue (filmfotograf) de son pays natal, il revient en 1907 d’un voyage de cinq ans aux États-Unis. Nous pouvons imaginer qu’il découvrit au cours de ce périple les attractions mouvantes que proposaient au public divers industriels et prestidigitateurs et lui inspirèrent une envie irrépressible d’enregistrer des images.
Parmi les quelques films d’actualités attribués à Hans Berge disponibles sur YouTube, nous découvrons les premiers vols de biplans norvégiens en octobre 1910 ou une installation par bateaux des différents segments d’un pont métallique. Ces bandes d’une durée approximative de dix minutes défilaient en ouverture des séances, lors des premiers temps du cinéma. Leurs contenus et leurs formes évoquent un prototype lointain de nos actuels journaux télévisés. À une époque où les tubes cathodiques et les écrans plasma ne nous ouvraient pas encore une fenêtre quasi simultanée sur nos antipodes, ils avaient une place singulière au sein des programmes de cinéma.
Le 47e Festival La Rochelle Cinéma a été l’occasion de redécouvrir trois films du preneur de vues, restaurés en 2018, en avant-séance de La Fille de la tourbière (1917) de Victor Sjöström. Ces métrages n’ont de cesse de me questionner sur la nature de la satisfaction qu’ils m’ont procurée. Ils ne mettent à notre disposition qu’une compréhension parcellaire de l’entre-deux-guerres. Le peu d’informations accessibles concernant Hans Berge m’empêchent de mieux comprendre cette récréation. Le caractère informatif des films se croise avec le divertissement qu’il met parfois en œuvre et finit par se confondre avec lui. Cette sélection du festival fut malgré tout une opportunité appréciable d’accéder à ses documents de la Librairie Nationale de Norvège. L’expérience offre un aperçu de certaines conditions de projection de la première moitié du vingtième siècle, ressurgissant comme des capsules temporelles.
Course de luge à Korketrekkeren (1920) est tourné sur la piste du même nom, longue de deux kilomètres. Située dans le quartier de Frognerserten, elle est la plus étendue d’Oslo. Les concurrents défilent dans l’ordre numérique de leurs dossards le long de l’aménagement naturel propice aux sports de glisse. Bordés par le cordon du public, nombre d’entre eux échouent à négocier leur virage. Berge capte ces différentes cabrioles, montées consécutivement, confirmant les périls de l’épreuve. Ces risques sportifs sont donnés à ressentir lorsque la caméra est embarquée sur une des luges et dévale quelques centaines de mètres. L’exécution sportive laisse la place à une forme de sensation visuelle, où tremble l’épaisse couche de neige et les feuillages touffus des pinèdes. Les spasmes agitant l’image traduisent en flou et en tressautements les frissons inhérents à ses tournois hivernaux.
Une caserne de pompiers à Berlin (1925) témoigne de la précision des soldats du feu allemands. L’ascension millimétrée d’une façade et le télescopage des échelles étonnent par son synchronisme. L’entraînement n’est déjà plus une répétition tant les mouvements semblent chorégraphiés. D’autant qu’il laisse place, après une alarme signifiée par un carton, à une ébauche de fiction où les sapeurs s’exercent à éteindre un incendie déclenché. Une lance à eau escamotable, se dressant comme un cou de girafe, leur permet d’atteindre les plus hautes fenêtres. Le site d’entraînement, devenu plateau de cinéma, est l’occasion de passer en revue les différents progrès techniques de la caserne, à l’instar de ce scaphandre caoutchouteux propageant un parapluie aqueux au-dessus de la tête du pompier l’ayant enfilé.
Au ski (1925) est une archive d’apparence plus personnelle des activités sportives de loisir auxquelles s’adonne une bande de jeunes adultes. Ils dégringolent sur une pente bien plus courte que la piste de Korketrekkeren. Certains y glissent sur la semelle de leurs chaussures et terminent par défiler en file indienne, assis en tailleur. Il s’agit en quelque sorte d’un film de vacances. Comme le montre ce plan où l’un des villégiateurs, travesti en grand-mère dotée d’un fichu, moud du café devant ses compagnons hilares. Hans Berge lui-même se laisse aller aux plaisirs du « trucage » et passe certaines glissades de la modeste pente à l’envers, faisant remonter la pente à des luges pourtant chargées de plusieurs passagers.
En somme, j’ai reçu ces films d’actualités comme des propositions de filmage, des tâtonnements de la mise en scène ou de mise en action d’images mises bout à bout. Nous ne saurions appeler ces tentatives des inventions, à moins d’être présomptueux. Il s’agirait plutôt d’une étape parmi d’autres de la mise en place des modes de filmage. Je me suis ainsi (re)découvert un certain goût pour le cinéma des premiers temps. Ces films-documents témoignent de l’engouement d’antan pour le progressisme, exprimé par l’information sur l’industrie et les inventions de l’époque. Cette extravagante combinaison ignifuge citée plus tôt se révèle, de nos jours, aussi incongrue que les machines volantes de Jules Verne. Cette simple envie de filmer, d’enregistrer la vie de son époque et d’employer les nouveaux outils à notre disposition suffit pour justifier, en tout cas à mes yeux, un emballement imprévu pour les travaux de Hans Berge.
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Ouvrir la fenêtre
Sur L’argent de Judas (1915) de Victor Sjöström
L’argent de Judas, Victor Sjöström (1915) La découverte d’un film disparu est toujours une excellente nouvelle, d’autant plus s’il s’agit d’un grand film. L’Argent de Judas de Victor Sjöström est un grand film, et sa présentation au Festival d’Histoire de l’art à Fontainebleau était une formidable occasion de le redécouvrir. Reprojetté au Festival La Rochelle Cinéma, nous avons pu confirmer notre enthousiasme pour ce moyen métrage d’à peine 40 minutes.
Le film traite d’un homme qui braconne, aidé d’un ami, pour payer des médicaments à sa femme. La partie de chasse tourne vite au drame alors qu’ils sont repérés et que l’homme tue par mégarde un des garde-chasses. Plutôt que de se livrer, il laisse son ami se faire arrêter à sa place, peu à peu rongé par le remords. Il se suicide finalement, et lave son ami de tout soupçon.
L’ouverture du film coïncide avec celle d’une fenêtre et permet à la caméra de s’y engouffrer, dévoilant le lieu principal de l’intrigue, une petite maison vétuste. Sjöström introduit ainsi immédiatement l’un des éléments fondamentaux de son film : la fenêtre. C’est cette ouverture qui permet au film de débuter, en permettant au public d’y rentrer, littéralement. Mais c’est aussi par la présence d’une vitre à des moments clés du métrage que cet élément se révèle capital. Ainsi le début du film est marqué par le départ de deux binômes — les deux amis et les deux garde-chasses — s’éloignant à travers d’une vitre vers un destin funeste, annoncé par la cloison fermée. C’est toujours une fenêtre qui est close alors que l’homme dénonce et trahi son ami à qui il prêtait refuge. C’est par le carreau que survient le danger. Alors que la police tente d’arrêter un personnage, elle apparaît par cette ouverture. Pour tenter d’échapper à la menace, le suspect ferme en premier lieu le store, masquant ainsi la vitre. Aussi c’est une fenêtre ouverte qui cadre les excuses du traître, et l’écriture d’aveux précédents sa rédemption. L’ouverture est associée à une respiration, au retour du bon sens et à l’empathie alors que la clôture annonce la réclusion, le danger et l’égoïsme.
C’est que la fenêtre n’est que le symptôme d’un motif plus grand, et Sjöström en use pour rendre visible une opposition plus large, celle entre un monde extérieur et celui du foyer. Dans L’argent de Judas le dehors, s’il est sublime — les décors sont en grande partie naturels et somptueux — n’est que source de drame, c’est dans la nature que se déroule le meurtre initial. C’est dans la rue que l’innocent sera arrêté. De même c’est de l’extérieur que surgit la police. Au contraire, les deux foyers — celui du traître et celui de son ami — sont signe de sûreté mais à la fois d’enfermement. Dès le premier plan du film, un enfant dort paisiblement sur le rebord de la vitre, alors qu’une femme se meurt lentement. La maison fait office de refuge pour l’ami traqué, et de prison lorsque l’inspecteur arrive.
Aucune solution ne se trouve ni dans un espace ni dans un autre, pour trouver le salut, Sjöström propose alors d’ouvrir la fenêtre, et de faire enfin communiquer les deux mondes. C’est là que réside la solution au conflit du film, le traître réalise son erreur, ouvre la fenêtre et se jette dans le dehors pour y disparaître. C’est finalement sur l’ouverture, d’une porte cette fois, que le film trouve une conclusion.