N’est pas alpiniste qui veut

Sur Portrait de la jeune fille en feu (2019) de Céline Sciamma
Héloïse dans Portrait de la jeune fille en feu

Portrait de la jeune fille en feu, le titre de la dernière réalisation de Céline Sciamma n’est pas seulement celui du film, mais aussi le nom du tableau dévoilé dans les premières secondes de projection.

Ainsi, Portrait de la jeune fille en feu est une toile peinte, et le flashback suivant l’introduction de la peinture — constituant le reste du film — aspire à mener le spectateur vers l’instant qu’il représente. Céline Sciamma annonce immédiatement ses ambitions : montrer un moment rêvé, sensible et unique, digne d’être immortalisé sur une toile. En bref, un bout de réalité figé par un artiste, peintre ou cinéaste.

De tels moments existent au cinéma. Ils prennent pour moi la forme d’un vase dans Printemps Tardif (Yasujiro Ozu, 1949), d’une scène de boisson dans L’auberge du dragon (Raymond Lee, 1992), voir d’un film entier pour Qui a peur de Virginia Woolf (Mike Nichols, 1966). Ils sont tangibles, semblables à des morceaux de pellicules, rangés dans ma mémoire. Pourtant impossible d’en décrire les caractéristiques, de les rationaliser. Ces instants ne sont pas des vignettes que l’on collectionne au sein d’un catalogue fini, mais des objets soumis au temps, se bonifiant, s’effaçant ou se remplaçant, insoumis à la logique, à mon contrôle. Ils arrivent, restent, et disparaissent.

Alors, comment ne pas être sceptique face à la proposition de Céline Sciamma, faisant l’exact inverse ? En préparant le spectateur à un de ces moments, et en s’y attelant de façon si appliquée, elle ôte à cet instant tout naturel. Le film nous prépare, et nous attendons. Sitôt la colorimétrie, le décor et les costumes en accord avec ce que nous avons vu plus tôt — soit sur le tableau au début, soit sur l’affiche —, nous nous tenons à l’affût, prêts à assister à la magie du cinéma à l’œuvre. La disposition des personnages se fige, la musique se lance, la robe prend feu, voilà nous y sommes. 

Pourtant passée la séduction de surface, que s’est-il produit que nous n’attendions pas ? Rien au final, la simple constatation d’une promesse tenue, d’un film bien produit, bien écrit, bien défini. En annonçant sa beauté à venir, l’œuvre en perd le charme et devient non plus la vision d’un artiste, mais d’un bon faiseur, fort compétent à produire sur commande des films, mais au final bien incapable de créer un moment de cinéma véritable.