Les garçons sont partis

Sur Atlantique (2019) de Mati Diop

Faute de salaire, un groupe d’ouvriers s’exile en mer, puis disparaît. 

D’abord il y a la ville, qui n’est plus tout à fait à eux puisqu’ils n’habitent pas ces nouveaux bâtiments. Puis l’argent, bien sûr. Il faut pouvoir rentrer chez soi, manger, vivre décemment. Et enfin la mer, en une, deux, trois vagues qui balayent tout, qui engloutissent les hommes comme on a étouffé leurs paroles. Le chantier est vide à présent, les femmes sont seules, plus personne ne danse.

Les paroles de ces hommes nous ne les entendons pas dans les premiers plans du film. Assourdies par les travaux, elles ne parviennent pas à acquérir de consistance. Pourtant les garçons crient, mais, une fois disparus, personne ne remarque cette absence : les usuriers poursuivent leurs activités et Ada (personnage principal) est mariée de force. 

La vengeance que déploie dès lors le film se propage comme une maladie virale. Celle d’une communauté et non seulement d’individus, une douleur qui n’appartient plus à personne et qui concerne tout le monde. Peu à peu, un vertige gagne certains des habitants de Dakar. D’étranges représailles se déroulent la nuit. Si les criminels ont les yeux blancs, c’est qu’en leur sein est contenue la multitude des vies sacrifiées. Ce n’est plus le corps mortel passable que nous montre le film, mais la survivance d’un même sentiment d’injustice. Cette violence se propage et toute l’image s’en trouve contaminée. Dans la ville lointaine et vaporeuse, un voile menace toujours de recouvrir l’écran. 

Enfin, la mer qui n’en finissait plus de crier reflète à nouveau le soleil, les amants s’étreignent une dernière fois, plus personne ne peut être forcé au silence. À la colère des uns se succéderont de nouvelles luttes et à ces luttes participeront les hommes, les femmes. Toute une communauté se trouvera altérée et, une fois le soleil couché, elle saura ne plus se cacher les yeux. Alors elle regardera le monde, terrifié et fiévreux et réparera ce qui a trop longtemps été impuni.

Vignette du Livre des morts des Anciens Égyptiens